UN CHIEN AURÉOLÉ QUI SE CONSUME — ET DONT ON VOIT, PAR TRANSPARENCE, L’INTÉRIEUR DE L’ESTOMAC QUI CONTIENT UN OS
Emmanuel Rabu, février 2014
publié dans Eight
« Une partie du disque de la lune apparaissait dans une déchirure des nuages. À cette pâle clarté, je vis, derrière les arbres, la dentelure des roches, ainsi que l’interminable et mélancolique déclivité de la lande. » Conan Doyle, Le chien des Baskerville.
Un prénom épicène et un prénom masculin anglo-saxon pour patronyme — c’est-à-dire une dénomination sans sexe, généalogie, patrimoine, géographie ou nationalité identifiables — ou dont le référent (Steve) n’évoque rien d’autre qu’un stéréotype — et peut-être la poussière que soulève, dans les plaines, Steve/Josh Randall sur son cheval.
C’est une absence de situation, de coordonnées (d’abscisse et d’ordonné) sur un plan — celui de la culture populaire. Cette forme d’atopie onomastique, c’est celle de la marque (comme dans produit de marque), de la marque de vêtements notamment — dont la sémantique désigne un ensemble, sans signifier autre chose qu’un degré (de beauté, d’élégance, de classe, etc.).
Danny Steve ressemble à une marque ; son identité signalétique — le logo — en utilise les codes. Il serait plus juste — mais affecté — de dire de Danny Steve que c’est une marques, une marqueterie, un ensemble composé de parties disparates.
Ce « désordre », cette disparité, c’est celle de la nature des objets : paysage anthropomorphe, paysage presque abstrait, anti-flip book, érotisme métaphorique sophistiqué, bande dessinée, performance vidéo, installation, objets, décorations mobilières, etc.
Quand Derrida écrit dans L’animal que donc je suis : « Il faut éviter de répéter, se dit-on, pour conjurer un dressage », il dit notamment que la répétition crée — indépendamment de ce qui est dit — une empreinte. Nous sommes structurés, enfant puis adulte, par des empreintes. Elles prennent la forme du mantra, du chapelet, de la musique répétitive, de l’autohypnose, des jingles, des séries télé, etc. Ce sont des techniques de conditionnement (une « action qui a pour résultat de susciter des habitudes de pensée, de comportement, par des moyens agissant sur les psychologies, les consciences »). Répéter c’est dresser et c’est capitaliser.
Il n’y a pas de conditionnement. La marques n’est pas construite sur un système ou sur un procédé formel : il n’y a de réduplication qu’à l’intérieur de la série ; chaque série utilise une technique, un procédé. La répétition est dans le geste du dessin circulaire. Il faut répéter le geste pour conjurer une séparation, une dislocation.
Il y a quelques années, un publicitaire français affirmait que la réussite d’une vie était conditionnée par la possession d’une rolex. Ce qui est remarquable dans sa phrase ce n’est pas tant la vulgarité qui consiste à désigner un objet de luxe comme marque de réussite (son ostentation est une coïncidence, la montre c’est l’action de montrer : « démonstration, dépense, effet, étalage, exhibition, parade ») que la fonction même de l’objet désigné, l’outil millimétrique du planning, de l’emploi du temps, de son bon déroulement. Un objet qui divise en unité un continuum, comme une lame découpe un ensemble en sections.
C’est la question du bord, de l’extrémité et de la gravité (l’attraction), de l’envers et de l’endroit.
Eight2 est constitué de huit dessins. Cinq d’entre eux sont de couleur grise, les autres bleu, vert, jaune, rouge. Les premiers représentent des scènes et les deuxièmes des formes qui, elles, sont plus ou moins distinctes — les titres et les couleurs, feu, explosion, vagues — explicitent leur sujet. Un homme, de dos, son ombre s’étend devant lui, il est en flamme mais il ne brûle pas, il est surmonté d’un nuage dense (qui a la forme d’une empreinte digitale) et d’une circonvolution qui évoque un M manuscrit et un 8. Eight2.4, ce même homme, de dos, en flamme, dans un village, à sa gauche un skateur et une circonvolution dans le ciel, en spirale ; le contexte (l’inscription des personnages dans un lieu) accentue le flou, le trouble de la vision. Eight2.5, un skateur dans une sphère transparente, positionné à environ 90°. Eight2.7, un texte comme du dessin — ou un dessin comme du texte : « Up Top Down Bottom Charme Etrange » — écrit dans ce même lettrage brouillé. Les motifs sont ceux de la combustion, la forme des nuages, la fumée, le chien, le skateur, le haut, le bas, la gravité contourné à travers une bulle, le début, la fin, le +, le -, la modification, la spirale, la cible sans centre.
La montre c’est la division du temps en unités, en crans. Les signaux de fumée fournissent d’autres informations que l’écoulement du temps ; l’emplacement, l’espace. Ils peuvent être modifiés, par des facteurs non prévus, le vent, l’orage, etc. Le signal de fumée ne signifie parfois rien d’autre que l’issue d’une combustion. La fumée c’est la dissolution.
La boucle, la « ligne courbe qui se recoupe », produit comme la hachure, des nuances de gris, mais elle s’en oppose par la continuité. La hachure délimite, la boucle suit et se confond. La hache coupe net, la boucle est diffuse, elle fluidifie.
Il n’y a pas d’hétérogénéité — seulement des lignes entre les objets que nous ne voyons pas.
Dans la phrase évoquée plus haut, il y a le verbe « rater », rater, c’est — en parlant d’une arme à feu — ne pas partir, réussir, c’est viser et tirer — atteindre une cible.
Le chien est en flammes comme s’il était en enfer — mais il est difficile de savoir s’il se consume — il est surmonté d’un halo — l’auréole qui entoure les saints dans la mythologie chrétienne. Il y a quelque chose de paisible dans sa posture et il émet en même temps des signes nocifs. Il ne s’apprête pas à bondir. Son estomac est transparent, et aussi toute l’épaisseur entre cet estomac et la peau, le poil. Le chien n’est pas dressé. Ses contours s’estompe parfois avec ce qui fait office de paysage.
Ce n’est pas le contraire de la ligne, du trait — dont l’étendue se réduit à la seule dimension de la longueur ; ça peut être un fil tendu qui s’effiloche par sections, qui menace de rompre mais qui ne casse jamais. Ce n’est pas ce qui s’oppose à la dualité, c’est ce qui ne la considère pas. Il ne s’agit pas du refus d’un ensemble de systèmes mais d’une absence de réaction à l’injonction à les appliquer.
Ce sont des objets nets qui se confondent : un mammifère, qui se consume et que survole un halo, un nuage circulaire, une cible diffuse et sans centre, un rond de fumée ; un chien gris aux contours qui s’estompent, à la symbolique infernale et angélique (littéralement), dont on voit le conduit de la gueule à l’anus, un chien de fumée, dont les contours se dissolvent parfois avec son support. Du fantôme de Baskerville, il a l’aspect évanescent, la consistance stomacale et l’impact (l’effet sur le réel). « Le chien originel était assez matériel pour déchiqueter le cou d’un homme, et néanmoins il était bien d’essence infernale ! » C’est ce qui est confondu.
A DOG WITH A HALO IS ON FIRE—WE CAN SEE, BY TRANSPARENCY, THAT THE INSIDE OF ITS STOMACH CONTAINS A BONE
Emmanuel Rabu, February, 2014
published in Eight
"A half moon broke through the rifts of racing clouds. In its cold light I saw beyond the trees a broken fringe of rocks, and the long, low curve of the melancholy moor." Conan Doyle, The Hound of the Baskervilles.
Her (non-) patronymic identity is deduced by the combination of a genderless first name and a masculin Anglo Saxon first name as last name—that is to say a denomination void of gender, genealogy, heritage, geographic or identifiable nationality—or where the reference of which (Steve) evokes a stereotype—a cliché—Steve (McQueen) as Josh Randall on horseback stirring up dust as he gallops across the plains.
It is the absence of a location, of coordinates (the X-axis and Y-axis) on a map—that of popular culture. This form of onomastic atopy is typical of a brand (as in brand name goods), especially clothing brands—where semantics designate an entity and signify nothing else than a degree (of beauty, elegance, class, etc.).
Danny Steve looks like a brandname ; her descriptive identity—the logo—uses the codes that define the trademark. It would be more accurate—though quite artificial—to say that Danny Steve is a brand, a marquetry, a patchwork of ill-assorted elements.
This "disorder", this disparity, is the inherent nature of the elements found in her work : anthropomorphic or quasi-abstract landscapes, anti-flip books, sophisticated metaphoric erotica, comic book art, video performances, installations, paraphernalia, decorative furniture, etc.
As Derrida wrote in Animal That I Am : "It is common belief that to keep from being domesticated, one must avoid repetition", he claims among other things that repetition generates—regardless of what is said—an imprint. We are structured from childhood to adulthood by imprints. They can come in various forms—a mantra, a string of rosary beads, repetitive music, self-hypnosis, jingles, television shows, etc. They constitute brainwashing devices ("an action that results in inciting thought or behavior patterns, which play on our psyche, our subconscious"). Repeating is domesticating and capitalizing.
Indocrination is not the issue. A brand(s) is not built on one system or based on one formal process in particular : duplication occurs only within the series itself ; each series uses a technique, a process. Repetition is inherent to the act of scribbling circles. It is thus necessary to repeat this action to prevent a separation, a dislocation.
A few years ago, a French publicist declared that a person’s success in life depended on whether or not he owned a Rolex. It is obscene enough to designate a luxury item as a token of success (a watch’s ostentation is no coincidence, when worn for show : "a pompous display, on parade"), but even more striking is the function of the object itself, a millemetric hand that controls our schedules, our timetables and guarantees their proper course ; an object that divides the continuum into units, like a blade slicing an entity into sections.
The issue is the notion of boundaries, extremity and gravity (attraction), the heads and the tails.
Eight2 is a collection of 8 drawings. Five of them are grey, the rest are blue, green, yellow, and red. The first group pictures scenes and the second group pictures more or less distinct shapes—the titles and colors, fire, explosion, waves—which clarify the subject matter. A man seen from behind, a long shadow extending in front of him, surrounded but not consumed in flames, overshadowed by a cloud of dense smoke (in the shape of a giant digital fingerprint) and a convolution evoking a cursive letter M and the number 8. Eight2.4, the same man, again seen from behind and in flames, in a village, a skater to his left and a spiral convolution in the sky above ; the context (the inscription of characters situated in their surroundings) accentuates the haze and makes the eyesight blurrier. Eight2.5, a skater, angled at 90 degrees, inside a transparent sphere. Eight2.7, text as a drawing—or drawing as a text : "Up Top Down Bottom Charm Strange", written in the same scribbled lettering. The patterns are those derived from combustion, the shape of the clouds, the smoke, the dog, the skater, the up, the down, gravity circumvented within a bubble, the beginning, the end, the +, the –, modification, a spiral, a centerless target.
The wristwatch represents time’s division into units, into notches. Smoke signals provide us with more information than just time passing ; they represent a location, space. The signal can be modified by unforeseen factors such as wind, storm, etc. Sometimes smoke signals are nothing more than the result of combustion. Smoke dissolves and dissipates.
The loop, the "curved line that intersects itself", used repeatedly like hash marks to produce a shading effect, stands apart in its nature of uninterrupted continuum. Hash marks delineate while loopings follow and overlap themselves. Hash marks cut clean, whereas loops diffuse and liquefy.
The process is not heterogeneous—only the lines running between the objects remain unseen.
A previous passage evokes the notion of failure in obtaining success. The failure to hit a goal—in relation to firearms—is not properly aiming, shooting, hitting the target.
The dog is engulfed in flames as if it were in Hell—though difficult to know if it is burning— and its head is encircled by a halo—as seen encircling the heads of saints in Christian mythology. Although its posture looks peaceful and not ready to lunge, there is something menacing about the dog. The transparent flesh and fur reveal its stomach. The dog is not tame. Some of its outlines melt into what is supposed to be a landscape.
It is not the opposite of a line—where its path confines itself down to the single dimension of its length ; a hypothetic line stretched to the point of fraying, threatening to break, but never does. It is not that which opposes duality, but that which fails to consider it. The question is not the refusal of an entity of systems, but the absence of reaction to the injunction to apply them.
These are distinct objects mixing with one another : a halo hovering over a mammal consumed in flames, a diffuse and centerless target, a smoke ring ; a grey dog with outlines blurring, marked with both infernal and angelic symbolism (literally), the digestive tract visible from its open jaws to its anus, a dog made of smoke, its contours dissolving into the surrounding landscape. The dog has the evanescence of Baskerville’s spectral beast, its stomach consistency and its impact (“real-world” effects). "The original hound was real enough to tug a man’s throat out, and yet it was diabolical as well." That is where the confusion lies.