Correspondances
Résidence au Cyel, école d’art et conservatoire de La Roche-sur-Yon
je nous caillou (note d’intention préalable)
Dans le cadre de ma résidence au Cyel et des ateliers proposés aux étudiants et lycéens durant l’année 2023, j’ai réfléchi à un thème relatif à mon travail susceptible d’orienter les expérimentations de l’ensemble des participant.e.s vers une perspective commune. Le sujet proposé est donc « le caillou ».
Le caillou, diminutif de pierre, fragment de roche, débris de planète, dérisoire, négligeable, minuscule, détient de grands souvenirs. Compagnon primitif de l’humain, il est le premier repère sur son chemin et la première arme. Il garde la mémoire des plus anciennes architectures et écritures. Il cache en lui les métaux, les cristaux les plus précieux, les traces les plus anciennes. Ses textures, formes et couleurs sont d’une infinie variété. Solidification des entrailles terrestres ou expulsion mystérieuse de l’espace, brisé ou poli, le caillou se détache, le caillou se déplace.
Nous concentrerons notre attention sur ce voyageur discret, plein de secrets. Par son prisme, nous interrogerons les contes et les sciences. Nous aurons à disposition l’étendue de sa polysémie et la précision de sa présence. Nous lui trouverons magie ou disgrâce avec la même pertinence et la même méthode.
La méthode pourra être la suivante : Pour démarrer l’atelier : « Amenez avec vous un caillou ». Les participant.e.s auront, selon les cas, apporté leur caillou favori ou ramassé un caillou quelconque. Dégagé de tout jugement de valeur, l’éventail de ces échantillons nous révélera déjà les diverses personnalités du groupe.
Chacun.e va donc focaliser son attention sur ce fragment choisi. En l’observant, en le dessinant, en le photographiant, sous tous les angles. Ce faisant, chacun.e va se mettre à l’écoute de son caillou pour inventer son histoire, ses souvenirs et ses ambitions. Ce caillou a-t-il connu l’eau, le feu et le vent ? A-t-il vocation à soigner ou à blesser ? A-t-il sa place dans un jardin sec (zen, méditation) ou dans le rouage d’un système (blocage, obstacle) ? Caillou erratique du fond des âges, caillou vengeur ou caillou doux, fossile, montagne, trésor ou grain de sable, le caillou sera le support d’une rêverie où se croiseront de nombreuses pistes : géologiques, sociologiques, sémiologiques, esthétiques, ludiques, historiques ...
Dans la perspective d’une composition collective, une technique commune à l’ensemble des réalisations pourra souligner la variété d’interprétations tout en unifiant cette diversité. Par exemple, on pourra décliner une méthode que j’affectionne et que j’ai utilisée pour réaliser Poem (1), une micro édition dessinée avec une trame circulaire. A travers quelques exercices, on pourra inviter les participant.e.s à définir une trame expressive personnelle. Cette méthode leur permettra de dessiner leur caillou et reproduire leurs dessins par le biais des techniques proposées (gravure, photocopie, lithographie) pour réaliser une édition collective.
Selon les enseignants, les groupes et les séances, on pourra s’intéresser à mon travail artistique (2) ou à ceux d’artistes ayant abordé le thème du caillou sous d’autres angles, par exemple Jean-Michel Sanejouand, Vija Celmins, Jimmy Durham … et appliquer d’autres méthodes, utiliser d’autres techniques.
J’aime l’idée que le résultat des ateliers figure d’abord un « tas de cailloux », une accumulation de fragments à priori dérisoire, négligeable, dont on découvre la singularité de chaque élément, sa richesse, sa sensibilité, comparable en cela aux individus qui, ensemble, forment une masse indistincte mais révèlent, isolés, leurs particularités, leur histoire unique.
Déroulé des séances :
1. Apporter un caillou.
Dessin d’observation de ce caillou au stylobille sur feuilles de papier recyclé 80g A3 : trames noir & blanc, modelés, ombres.
Une présentation de l’ensemble des travaux réalisés lors du cours et une discussion collective concluent chaque séance.
2. Observations et commentaires de 4 œuvres empruntées à l’artothèque :
Passeur solitaire, de Frédérique Aguillon (photographie)
Les Baux de Provence, de Eric Morin(photographie)
Petits cailloux, de Henri Cueco (peinture)
Constellation, de Marc Desgrandchamps (peinture)
3. Photocopies des dessins réalisés lors de la première séance : agrandissement, réduction, contraste.
Consultation de livres à la bibliothèque, documents photographiques de paysages et de roches, photocopies noir et blanc de fragments de ces photographies.
4. Mise en commun de ce matériel photocopié. Découpages, assemblages, ajouts dessinés, compositions individuelles sur papier 90g A4.
5. Réalisation d’un livre compilant les réalisations de tous.tes les participant.es.
Photocopies des compositions A4 réduites au format A6 sur papier blanc 216g avec éléments graphiques d’une carte postale vierge au verso. Découpe, reliure colle, pliage couverture, façonnage, empreinte d’un caillou sur la 1ère de couverture.
Suivant un protocole commun, chaque participant.e réalise son ouvrage personnel choisissant l’ordre des 40 cartes postales, la couleur de la couverture et le motif du caillou. Les 2 séries de livres réalisées par les 2 classes sont éditées à 40 exemplaires numérotés.
La résidence « Correspondance » est suivie de l’exposition « ɑ̃sɑ̃blə ʒeɔɡʁafik » (écriture phonétique de « ensemble géographique ») où je propose un dialogue entre mon travail et celui des élèves et enseignant.es du Cyel (conservatoire et école d’art).
> voir exposition « ɑ̃sɑ̃blə ʒeɔɡʁafik »
« L’écriture phonétique avance le son des mots au détriment de leur hiérarchie, de leurs étymologies. ɑ̃sɑ̃blə ʒeɔɡʁafik est une exploration des strates de la zone critique. L’effacement de la graduation qu’annonce son titre concerne ses formes, ses disciplines et ses protagonistes.
ɑ̃sɑ̃blə ʒeɔɡʁafik est composé de cinq zones, comme un ensemble de paysages : partition graphique, rêve circulaire, écho, contemplation du fracas et perception géographique.
Deux d’entre elles montrent des pièces de Danny Steve uniquement, trois autres un travail des étudiants à partir de ses pièces et l’inverse. »
(extrait de Dans le jardin de pierres, sur ɑ̃sɑ̃blə ʒeɔɡʁafik de Danny Steve, par Emmanuel Rabu)
Les cailloux utilisés lors de la première séance et l’ouvrage réalisé lors de la dernière séance sont présentés dans l’espace « écho ».
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Une série des cartes postales imprimées et contrecollées sur papier crème 350g est présentée dans l’espace « rêve circulaire ».
L’ensemble des dessins de la première séance sont photocopiés agrandis sur papier calque 70g pour constituer l’installation « Chuchotement rocheux ». Les feuilles de calques se chevauchent et frémissent face aux mouvements de 2 ventilateurs.
"Chuchotement rocheux" est conçue comme une installation instable, interactive, évolutive.
Les dessins de cailloux des étudiants réalisés au stylo bille noir sont agrandis et reproduits sur papier calque de différents formats (A4, A3, A2, A1).
Les dessins sont accrochés au mur grâce à des aimants.
Les dessins peuvent être organisés de différentes façons, ils peuvent se superposer, être décrochés et raccrochés aisément.
Ils peuvent être abimés et créer davantage de reliefs.
Deux ventilateurs mobiles agitent légèrement le papier. On entend le bruissement des feuilles.
Une dizaine de poufs-cailloux sont également à disposition.
L’ensemble est pensé comme une partition graphique.
On interprètera la composition aléatoire, évolutive ou non, selon les règles que l’on souhaitera.
On pourra modifier l’organisation des dessins de façon intentionnelle.
On pourra décrocher des dessins, les jeter au sol et obtenir une composition accidentelle.
On pourra en faire une interprétation musicale, chorégraphique ou autre.
Le protocole d’activation consistera à allumer la caméra de surveillante qui rediffusera la performance dans l’espace « écho » durant toute la durée de l’exposition.
On raccrochera les dessins après chaque activation, selon l’ordre que l’on souhaitera.
La partition évoluera durant toute la durée de l’exposition.
L’ensemble des dessins de la première séance constituent également les motifs du diptyque « Sheet music ».
Le thème du caillou suscite de nombreux échos chez les enseignants de l’école d’art et du conservatoire, et donne lieu à plusieurs performances musicales, installations plastiques et publications (dont la revue « Bruire » n°3, réalisée par les étudiants de 3ème année de l’IUT dans le cadre de leur BUT information/communication).
Une sélection de réalisations des élèves adultes et enfants est présentée dans les espaces « écho » et « contemplation du fracas ».